Design Thinking + Business Model Canvas : penser l’innovation, modéliser la valeur

Introduction : pourquoi innover ne suffit pas
L’innovation ne se résume pas à une bonne idée ou à une avancée technologique impressionnante. Des milliers de startups brillantes échouent chaque année malgré des produits révolutionnaires.
Pourquoi ? Parce que leur offre, aussi ingénieuse soit-elle, ne trouve pas sa place dans le quotidien des utilisateurs ou n’est pas soutenable économiquement.
En d’autres termes : elles ne croisent pas suffisamment les trois facteurs fondamentaux de l’innovation réussie.
C’est précisément ce que permet le Design Thinking : penser l’innovation à l’intersection de trois dimensions majeures — la désirabilité (les besoins humains), la faisabilité (les capacités techniques) et la viabilité (le modèle économique).
Le Business Model Canvas, quant à lui, fournit la structure nécessaire pour transformer une idée centrée utilisateur en modèle économique cohérent et exploitable.
Lorsque ces deux approches sont combinées, elles offrent aux innovateurs une boussole pour explorer, et une carte pour agir.
Trois cercles pour ne pas se perdre : la puissance du Design Thinking
Le Design Thinking n’est pas une méthodologie réservée aux designers. C’est une approche de résolution de problèmes complexes qui repose sur l’observation, l’empathie et l’expérimentation rapide.
Il vise à concevoir des solutions qui font sens pour les gens, qui sont techniquement possibles à mettre en œuvre, et qui s’inscrivent dans une logique de création de valeur durable.
Les trois cercles du Design Thinking sont devenus une référence :
La désirabilité : Est-ce que les utilisateurs veulent réellement cette solution ? Quelles sont leurs frustrations, leurs attentes profondes, leurs comportements ? C’est ici que se jouent la pertinence et l’adhésion à une innovation.
La faisabilité : Est-ce techniquement et opérationnellement possible ? Dispose-t-on des compétences, des outils, de l’organisation ou des partenaires nécessaires pour la mettre en œuvre ?
La viabilité : Est-ce économiquement soutenable ? Le modèle économique permet-il de couvrir les coûts, de générer des revenus, et de rester pérenne à long terme ?
L’objectif est simple : concevoir des solutions à la croisée des trois, là où l’innovation est non seulement souhaitée, possible, mais aussi durable.
Le Business Model Canvas : structurer l’innovation
Si le Design Thinking est une boussole pour s’orienter dans le brouillard de l’incertitude, le Business Model Canvas (BMC) est la carte qui permet de baliser le terrain.
Conçu par Alexander Osterwalder, le BMC est une matrice visuelle en neuf blocs qui synthétise la logique de création, de livraison et de capture de valeur d’un projet ou d’une entreprise.
Ces neuf blocs sont :
Segments de clients : pour qui créons-nous de la valeur ?
Proposition de valeur : quelle solution répond à leurs besoins ?
Canaux : comment atteignons-nous nos clients ?
Relations clients : quel type de relation instaurons-nous ?
Sources de revenus : comment générons-nous des revenus ?
Ressources clés : quels sont les moyens essentiels pour opérer ?
Activités clés : quelles sont les actions indispensables à notre modèle ?
Partenaires clés : qui nous aide à créer et délivrer la valeur ?
Structure de coûts : quels sont les coûts principaux de notre modèle ?
Cette structure permet non seulement de visualiser la cohérence globale d’un projet, mais aussi d’en tester les hypothèses et d’identifier les points de fragilité.
La correspondance entre les deux approches
Une des forces de la combinaison Design Thinking + BMC réside dans la complémentarité des deux approches. Là où le Design Thinking creuse le “quoi” et le “pour qui”, le BMC s’attache à structurer le “comment”.
Voici comment les trois cercles du Design Thinking trouvent leur place dans les blocs du BMC :
Désirabilité : segments de clients, proposition de valeur, canaux, relation client
Faisabilité : activités clés, ressources clés, partenaires clés
Viabilité : sources de revenus, structure de coûts
Cette grille d’analyse est extrêmement puissante pour les innovateurs, car elle permet d’ancrer la créativité dans une logique économique et opérationnelle, sans sacrifier la vision centrée utilisateur.
Un parcours en 4 étapes pour articuler Design Thinking et Business Model
Étape 1 : Comprendre les utilisateurs pour éclairer la désirabilité
Avant de dessiner une quelconque solution ou un modèle économique, il faut comprendre les gens. Cela semble évident, mais c’est souvent négligé. Observer, écouter, s’immerger dans le contexte des utilisateurs, voilà la base.
Cette phase, issue du Design Thinking, mobilise des outils comme :
Les entretiens exploratoires
Les observations in situ
La carte d’empathie
Les personas
Le parcours utilisateur (customer journey)
L’objectif est de formuler des insights puissants sur les besoins réels, souvent latents ou mal exprimés, des utilisateurs. Ce sont ces insights qui nourriront ensuite la proposition de valeur du BMC.
Étape 2 : Imaginer des solutions pertinentes
Une fois les besoins identifiés, place à la créativité. L’étape d’idéation consiste à explorer un maximum de solutions possibles, sans autocensure ni contrainte immédiate.
Les ateliers d’idéation, les techniques comme le brainstorming, SCAMPER, le mash-up, le « how might we », sont utiles ici. C’est le moment où le champ des possibles s’élargit.
C’est aussi le bon moment pour utiliser le Value Proposition Canvas, qui vient approfondir le lien entre la proposition de valeur (ce que vous apportez) et les profils clients (leurs tâches, douleurs, gains attendus).
Une fois les idées émergeant de cette phase confrontées aux besoins exprimés, on peut commencer à tester des prototypes ou MVP (produits minimum viables).
Étape 3 : Prototyper la faisabilité
Une idée séduisante sur le papier n’a aucune valeur tant qu’elle n’est pas testée dans la réalité. Cette phase consiste à expérimenter rapidement avec des prototypes, des maquettes, des versions simplifiées de votre solution pour observer son fonctionnement concret.
L’objectif ici est de répondre à la question : est-ce techniquement, logistiquement et opérationnellement faisable ?
En parallèle, cette étape permet d’esquisser les blocs du BMC liés à la faisabilité :
Quelles ressources allons-nous mobiliser ?
Quelles sont les activités clés à mener ?
Aurons-nous besoin de partenaires (techniques, industriels, distribution, etc.) ?
Ces éléments sont essentiels pour passer du concept à la mise en œuvre.
Étape 4 : Valider la viabilité
Enfin, une innovation ne sera durable que si elle repose sur un modèle économique sain. Cette étape consiste à tester les hypothèses financières du BMC :
Les clients sont-ils prêts à payer ?
À quel prix ?
Quelle structure de coûts allons-nous assumer ?
Quelle est la rentabilité potentielle ?
Le modèle est-il scalable ?
C’est aussi ici que des itérations sont souvent nécessaires entre les cercles : parfois, une solution désirable et faisable ne sera pas viable, et il faudra revenir en arrière, ajuster la proposition de valeur, reconfigurer la chaîne de valeur, ou changer de cible client.
Cas pratique : une innovation en santé connectée
Prenons un exemple simplifié pour illustrer cette articulation. Une équipe de chercheurs développe une solution de suivi médical à distance pour les personnes âgées isolées. L’idée de base : un bracelet connecté qui mesure des constantes vitales et alerte les proches en cas de problème.
Désirabilité : après entretiens et observations, l’équipe découvre que les personnes âgées n’aiment pas les dispositifs visibles. Elles préfèrent quelque chose de discret, voire invisible. Le besoin est réel, mais la solution initiale n’est pas désirable. Il faut repenser le design.
Faisabilité : techniquement, les capteurs existent. Mais les coûts sont élevés. Des partenariats avec des fabricants permettent de réduire les coûts de production. Le modèle devient plus réaliste.
Viabilité : l’équipe teste plusieurs modèles économiques : vente directe, abonnement mensuel, prise en charge par des mutuelles. Des tests utilisateurs et entretiens avec des partenaires B2B permettent de valider la voie de l’abonnement via des acteurs de santé. Le BMC prend forme.
Au final, l’équipe a navigué à travers les trois cercles, et ajusté son projet à chaque étape, tout en modélisant sa stratégie de manière cohérente.
Les bénéfices de la double approche
Articuler Design Thinking et Business Model Canvas présente plusieurs avantages majeurs pour les innovateurs :
Centrage utilisateur fort : en partant des besoins, on limite le risque d’“innovation hors sol”.
Vision systémique : on ne se contente pas de résoudre un problème, on pense sa mise en œuvre et son modèle économique.
Réduction de l’incertitude : en testant rapidement les hypothèses, on évite d’investir massivement dans une fausse bonne idée.
Alignement d’équipe : les deux outils sont visuels, collaboratifs et favorisent le dialogue entre profils techniques, business, design ou marketing.
Accélération de la mise sur le marché : moins de temps perdu, plus d’impact.
Pour aller plus loin : intégrer la durabilité
De plus en plus d’innovateurs cherchent à aller au-delà de la simple logique économique. Ils ajoutent un quatrième cercle à leur démarche : l’impact sociétal et environnemental.
Est-ce que mon modèle crée une valeur positive pour la société ? Est-ce que mes choix sont soutenables écologiquement ?
Certains frameworks comme le Sustainable Business Model Canvas ou le Design Thinking for Sustainability permettent d’élargir encore la réflexion.
C’est un prolongement naturel pour celles et ceux qui souhaitent faire rimer innovation avec responsabilité.
Conclusion : penser comme un designer, raisonner comme un stratège
Le Design Thinking vous aide à explorer les bons problèmes, à comprendre profondément vos utilisateurs, à expérimenter rapidement des solutions désirables. Le Business Model Canvas vous aide à structurer ces solutions, à modéliser leur déploiement, à en faire une activité viable.
Les deux approches ne s’opposent pas : elles se complètent. L’une est intuitive, empathique, créative. L’autre est analytique, structurée, rigoureuse. Ensemble, elles forment une méthode puissante pour innover dans un monde complexe, incertain, et en constante mutation.
Pour les innovateurs, c’est plus qu’un simple exercice de style. C’est une manière d’aborder les projets avec rigueur, sens, et impact. Parce qu’au fond, une bonne idée ne vaut que si elle rencontre son marché, son époque, et ses utilisateurs.