La soif cachée de l’IA : l’intelligence artificielle consomme-t-elle trop d’eau ?

La soif cachée de l’IA : l’intelligence artificielle consomme-t-elle trop d’eau ?​

Une ressource insoupçonnée au cœur de l’IA

En quelques requêtes sur ChatGPT, c’est près d’un demi-litre d’eau qui est consommé par les centres de données pour refroidir les serveurs (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). Derrière l’apparente virtualité de l’intelligence artificielle (IA), se cache une empreinte hydrique bien réelle. Alors que l’IA connaît un essor fulgurant depuis 2022, notamment avec les modèles génératifs, son impact sur les ressources en eau inquiète de plus en plus les experts et les responsables publics. Le sommet international de Paris sur l’IA en 2025 a ainsi mis à l’agenda la création d’une « coalition durable pour l’IA » afin d’aborder ces enjeux environnementaux et sociétaux.

L’IA mobilise de l’eau à trois étapes principales :

  1. Fabrication du matériel : la production des puces et serveurs consomme énormément d’eau (par exemple, 99 % de l’empreinte hydrique d’Apple provient de sa chaîne d’approvisionnement en composants électroniques (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO)).

  2. Production d’électricité : l’IA est énergivore et l’électricité qui alimente ses calculs mobilise souvent de l’eau (refroidissement des centrales thermiques).

  3. Refroidissement des data centers : les centres de données abritant les serveurs IA utilisent de l’eau pour leurs systèmes de refroidissement. C’est cette consommation directe qui est la plus visible, avec des millions de litres évaporés ou rejetés après usage.

Longtemps, l’empreinte carbone et la consommation électrique des technologies numériques ont focalisé l’attention. 

La consommation d’eau, elle, est restée dans l’ombre, en partie faute de données : en 2021, moins d’un tiers des opérateurs de centres de données mesuraient leur usage de l’eau (Data centre water consumption | npj Clean Water). Pourtant, les quelques chiffres disponibles révèlent une hausse vertigineuse de la soif de l’IA. 

Entre 2021 et 2022, Microsoft a accru de 34 % sa consommation d’eau, et Google de 20 %, principalement du fait de l’investissement massif dans l’IA générative (Comment l’intelligence artifcielle et ses data centers s’accaparent l’eau – Basta! ). 

En 2022, Microsoft a utilisé près de 1,7 milliard de gallons d’eau (6,4 milliards de litres) – une augmentation que des chercheurs lient directement aux besoins de l’IA (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). 

Google de son côté a vu sa consommation grimper encore de 14 % en 2023, atteignant 24 millions de m³ (24 milliards de litres) sur l’année (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO), soit l’équivalent de 9 600 piscines olympiques. Autrement dit, l’essor de l’IA multiplie les besoins en eau des géants du numérique.

Tendances mondiales à partir de 2025 : une explosion des besoins hydriques

Toutes les projections convergent : la consommation d’eau liée à l’IA va exploser d’ici la fin de la décennie. Une étude scientifique menée en 2023 par des chercheurs de l’Université Cornell aux États-Unis estime que l’IA pourrait représenter entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d’eau en 2027 (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO). 

À titre de comparaison, cela équivaut à quatre à six fois la consommation annuelle du Danemark, ou la moitié de celle du Royaume-Uni (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO). 

En seulement quelques années, l’IA deviendrait ainsi l’un des secteurs industriels les plus gourmands en eau.

Ces chiffres incluent l’eau consommée directement par les data centers pour le refroidissement, mais aussi indirectement par les centrales électriques fournissant l’énergie. Contrairement à l’agriculture dont l’empreinte hydrique est en grande partie « verte » (eau de pluie absorbée par les plantes), l’empreinte hydrique de l’IA est majoritairement « bleue » – c’est-à-dire de l’eau prélevée dans les rivières, lacs ou nappes phréatiques, directement utilisable par l’homme (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO). 

Cette eau douce est une ressource critique déjà sous pression dans de nombreuses régions du monde. En 2021, une étude parue dans Environmental Research Letters classait les data centers parmi le top 10 des industries les plus consommatrices d’eau aux États-Unis, l’industrie puisant de l’eau dans 90 % des bassins versants du pays (Engineers often need a lot of water to keep data centers cool | ASCE ). Environ 20 % de ces centres informatiques américains sont situés dans des bassins hydriques modérément à fortement stressés, notamment dans l’Ouest aride (Engineers often need a lot of water to keep data centers cool | ASCE ). 

À l’échelle mondiale, l’International Energy Agency (AIE) anticipe une montée en flèche de la demande de services numériques et exhorte les opérateurs à minimiser leur usage d’eau, en particulier dans les zones sujettes à la sécheresse (Data centres & networks – IEA).

Les modèles génératifs de l’IA – ces IA capables de produire du texte, des images ou des vidéos (ex : ChatGPT, DALL-E, Stable Diffusion) – jouent un rôle majeur dans cette tendance. 

En effet, leur développement s’accompagne d’une course à des infrastructures géantes

D’après un rapport Deloitte, les data centers consacrés à l’IA pourraient voir leur demande en eau douce atteindre 1,7 trillion de gallons d’ici 2027 (soit ~6,5 billions de litres) dans le pire des scénarios (Data center sustainability | Deloitte insights). 

Pour donner un ordre de grandeur, un seul centre de données hyperconnecté de nouvelle génération, s’il utilise un refroidissement à air combiné à de l’eau évaporée, pourrait consommer plus de 50 millions de gallons par an (190 millions de litres) (Data center sustainability | Deloitte insights). 

Cette eau, une fois évaporée pour refroidir les serveurs, n’est pas restituée au milieu naturel (Data center sustainability | Deloitte insights). On comprend mieux l’alerte lancée par Karen Hao, journaliste spécialisée : « Les centres de données poussent chaque semaine… La Terre peut-elle les soutenir ? » s’interrogeait-elle dans The Atlantic (Data center sustainability | Deloitte insights).

IA « classique » vs IA générative : quelles différences de consommation d’eau ?

Il est crucial de distinguer la consommation d’eau de l’IA en général de celle de l’IA générative. Les deux reposent sur des centres de données, mais leur intensité d’usage n’est pas la même. 

Une application cloud classique ou un algorithme d’apprentissage automatique modeste mobilisent des serveurs de façon intermittente et relativement prévisible. En revanche, l’IA générative s’appuie sur des modèles très volumineux et des calculs hautement parallélisés, qui font travailler les serveurs à pleine puissance sur de longues durées.

Ces chiffres doivent cependant être nuancés : l’emplacement géographique et la technique de refroidissement modifient l’empreinte par requête. Une étude a montré qu’avec la même quantité d’eau, on peut refroidir les serveurs pour 10 requêtes ChatGPT dans l’État de Washington, contre 31 requêtes aux Pays-Bas (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO). 

En effet, un centre de données situé dans un climat frais ou utilisant de l’eau non potable en circuit fermé aura un impact hydrique moindre qu’un data center en zone aride utilisant de l’eau potable en grande quantité. 

Ainsi, toutes les IA ne sont pas égales devant l’eau : leur consommation dépend de et comment elles fonctionnent. Néanmoins, la tendance générale est claire – la montée en puissance des IA, et en particulier des IA génératives, entraîne une explosion des besoins en eau des infrastructures numériques.

Amérique du Nord : l’IA face aux limites de l’Ouest américain

Les États-Unis concentrent plus de 30 % des centres de données mondiaux (A New Front in the Water Wars: Your Internet Use) et sont à la pointe de la révolution de l’IA, ce qui en fait un foyer majeur de consommation d’eau par les data centers. 

Cette consommation ne pose guère de problème dans les régions bien pourvues en eau, mais elle devient critique dans l’Ouest américain en proie à la sécheresse.

  • La côte ouest assoiffée : Dans l’Oregon, la petite ville de The Dalles a découvert en 2021 que le data center local de Google utilisait plus d’un quart de l’eau municipale (Comment l’intelligence artifcielle et ses data centers s’accaparent l’eau – Basta! ) – soit 355 millions de gallons par an (1,3 milliard de litres) (Engineers often need a lot of water to keep data centers cool | ASCE ), un volume triplé depuis 2016. Cette révélation, arrachée après une bataille juridique pour la transparence, a choqué une communauté déjà confrontée à un sévère stress hydrique. Plus au sud, en Arizona, l’implantation de nouveaux centres de données inquiète les élus comme Jenn Duff, conseillère municipale à Mesa : « Nous ne sommes pas assis sur une réserve abondante d’eau… Nous subissons une sécheresse chronique » alerte-t-elle (A New Front in the Water Wars: Your Internet Use). L’arrivée d’un énième data center (ici Meta/Facebook) suscite la crainte de pompages excessifs dans une région où le fleuve Colorado s’assèche.

  • Conflits avec les usages agricoles : Au Nouveau-Mexique, des agriculteurs de Los Lunas ont protesté contre l’installation d’un centre de données Meta, redoutant que l’eau allouée à Facebook ne vienne à manquer pour l’irrigation de leurs champs (A New Front in the Water Wars: Your Internet Use). Ces inquiétudes sont fondées : une étude de Virginia Tech note que 20 % des data centers américains prélèvent de l’eau dans des bassins déjà modérément à fortement en stress hydrique (Engineers often need a lot of water to keep data centers cool | ASCE ). Aux États-Unis, l’IA amplifie donc une « guerre de l’eau » naissante entre usages numériques et agricoles, rappelant qu’en période de pénurie, chaque goutte compte.

  • Mesures locales et innovation : Certaines collectivités de l’Ouest commencent à réagir. La ville de West Des Moines (Iowa) – où Microsoft exploite de vastes data centers – a averti qu’aucun nouveau projet ne serait approuvé sans réduction technologique significative de la consommation d’eau de pointe (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). Face aux pics estivaux, Microsoft affirme désormais privilégier le refroidissement par air extérieur et n’activer l’eau qu’au-delà de 29°C (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). Sur la côte Est plus humide, les enjeux sont moindres, mais l’exemple de Ashburn en Virginie (surnommée « Data Center Alley ») montre aussi des limites : ce cluster géant de data centers commence à peser sur les infrastructures locales, poussant à planifier des approvisionnements alternatifs.

Europe : entre transparence forcée et régulation émergente

En Europe, la densité de population et la sensibilité écologique ont fait de l’eau un sujet politique. Plusieurs pays voient se multiplier les polémiques autour des centres de données et de leur impact local.

Asie : l’expansion numérique dans des zones à risque

L’Asie, moteur de la croissance numérique mondiale, voit se multiplier les centres de données pour l’IA – parfois dans des régions déjà en pénurie d’eau, ce qui fait craindre une crise latente.

  • Chine : l’essor des data centers à l’intérieur des terres : La Chine a lancé un plan ambitieux pour construire des pôles de data centers dans ses provinces de l’Ouest et du Nord. Problème : nombre de ces régions sont aussi sèches que le Moyen-Orient et subissent un stress hydrique “élevé à extrêmement élevé”, avertit le groupe China Water Risk (China data center water demand to double by 2030 – report – DCD). Actuellement, les data centers chinois consomment environ 1,3 milliard de m³ d’eau par an (1,3 × 10^9 m³) et pourraient dépasser 3 milliards de m³ d’ici 2030 (China data center water demand to double by 2030 – report – DCD) sous l’effet de la demande en IA. Pékin encourage certes les opérateurs à améliorer leur efficacité et plusieurs acteurs chinois étudient des solutions (refroidissement liquide, utilisation d’eaux usées traitées, etc.). Mais la tentation d’installer des centres là où l’électricité est abondante (par exemple près des barrages hydroélectriques du Sichuan) entre en collision avec la disponibilité locale de l’eau. Seulement 32 % des centres de données chinois sont implantés dans des régions à l’aise hydriquement – la majorité se trouve en zones de stress ou de sécheresse (China data center water demand to double by 2030 – report – DCD). Les autorités chinoises commencent à intégrer ce facteur : en 2022, un projet géant de data center au Ningxia (région aride) a été recalibré pour réduire son pompage d’eau, et des normes pourraient émerger pour l’« empreinte eau » des services numériques.

  • Asie du Sud-Est : un boom sous climat tropical : Des pays comme Singapour, Malaisie, Indonésie connaissent un boom des data centers, alimenté par la croissance d’Internet et désormais de l’IA. Singapour, confronté à un manque de terres et d’eau, a imposé un moratoire sur les nouveaux data centers entre 2019 et 2022, puis a rouvert en exigeant des standards d’efficacité stricts (notamment un PUE – indicateur d’efficience énergétique – maximal). La Malaisie illustre le défi : dans l’État de Selangor, cœur économique du pays, les autorités de l’eau n’ont pu approuver que 18 % des volumes d’eau demandés par les 101 data centers en activité, refusant le reste de crainte d’impacter l’alimentation du public (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Un grand centre de données de 100 MW de capacité peut engloutir 4,2 millions de litres d’eau par jour, soit la consommation quotidienne d’une ville de 10 000 habitants (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Ce niveau de prélèvement suscite l’inquiétude alors même que la Malaisie est un pays pluvieux : la concentration géographique des data centers crée localement un déséquilibre. Pour y répondre, les exploitants d’Asie du Sud-Est misent sur de nouvelles techniques. Le refroidissement liquide gagne du terrain, car les systèmes classiques à air forcé ne suffisent plus sous les climats chauds et humides (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Des start-ups proposent des solutions hybrides (liquide + air) plus sobres en eau, et des investisseurs, notamment à Singapour, financent ces innovations (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Cependant, la transition est lente face à l’inertie du secteur et aux coûts : beaucoup de data centers continuent d’utiliser massivement l’eau pour tenir la cadence de l’IA.

  • Inde et autres pays asiatiques : L’Inde, deuxième marché mondial de l’informatique, voit également surgir des “farms” de serveurs IA. Mumbai, Hyderabad ou Bangalore accueillent de nouveaux campus de data centers. L’Inde a globalement des ressources en eau par habitant faibles et très saisonnières (mousson vs saison sèche). Sans planification, l’ajout de charges de refroidissement pourrait exacerber les pénuries, en particulier dans l’ouest du pays déjà aride. Ailleurs en Asie, on note des initiatives positives : Japon et Corée tendent à construire les centres près des côtes pour utiliser de l’eau de mer (et rejeter la chaleur dans l’océan après échange thermique). Taiwan a dû rationner l’eau des fabricants de semi-conducteurs lors de la sécheresse de 2021, rappelant que même l’amont de l’IA (fabrication des puces) est vulnérable. L’IA impose donc aux pays asiatiques un délicat équilibre entre essor technologique et gestion durable de l’eau.

Afrique : un développement à encadrer dans les régions en stress hydrique

En Afrique, l’écosystème numérique en est à ses débuts, mais le continent connaît l’une des croissances les plus rapides en matière de data centers. Des hubs émergent en Afrique du Sud (Le Cap, Johannesburg), au Kenya (Nairobi), au Nigeria (Lagos) et au Maroc (Casablanca), attirant les investissements des géants du cloud. Or, nombre de pays africains font face à une crise de l’eau chronique : selon l’ONU, 2 milliards de personnes n’y ont pas accès à une eau potable sûre, et d’ici 2025 la moitié de la population mondiale en situation de pénurie sera africaine (Data centers ‘straining water resources’ as AI swells) (Data centers ‘straining water resources’ as AI swells). Dans ce contexte, l’arrivée de centres de données suscite autant d’espoirs économiques que de craintes de pressions supplémentaires sur l’eau.

  • Afrique du Sud : Ce pays, le plus industrialisé du continent, a subi en 2018 une grave sécheresse au Cap (« Day Zero »). Il accueille pourtant les premiers grands data centers africains (Amazon, Microsoft Azure, Huawei). Conscient du risque, le gouvernement sud-africain exhorte désormais les opérateurs à réduire leur dépendance au réseau public, que ce soit pour l’électricité ou l’eau (South African gov’t says data centers should reduce reliance on the …). Des projets pilotes utilisent des eaux usées retraitées pour le refroidissement à Johannesburg, et Cape Town envisage d’imposer l’usage d’eau non potable pour tout nouvel aménagement high-tech. Malgré cela, l’information sur les volumes prélevés reste opaque.

  • Afrique de l’Ouest : Des centres de données sont en construction au Ghana, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, souvent alimentés par des centrales électriques au gaz. La disponibilité d’eau douce varie, mais plusieurs de ces pays subissent des saisons sèches sévères. Les opérateurs y explorent le refroidissement à air pour limiter l’eau, profitant de la moindre densité de serveurs (centres plus petits, donc chaleur plus dissipable sans eau). Toutefois, la fiabilité moindre de l’électricité (coupures fréquentes) incite parfois à surdimensionner les climatisations, donc à consommer plus d’eau de sécurité. Un équilibre difficile.

  • Nigeria : À Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants, l’accès à l’eau est déjà un défi : moins de 40 % des résidents ont l’eau courante (Data centers ‘straining water resources’ as AI swells). La ville ambitionne de devenir un hub numérique ouest-africain, avec de nouveaux centres de données en projet. Sans planification, cela pourrait aggraver la situation. Des ONG locales demandent une réglementation préalable avant toute implantation de data center : obligation d’utiliser de l’eau de pluie ou recyclée, contribution aux infrastructures d’eau pour la communauté, etc. Le cas de Lagos symbolise l’enjeu d’une « IA équitable en eau » : s’assurer que les bénéfices du numérique (emplois, services) ne se paient pas au prix d’une ressource vitale pour les populations locales (Data centers ‘straining water resources’ as AI swells) (Data centers ‘straining water resources’ as AI swells).

En résumé, en Afrique comme ailleurs, l’IA est un catalyseur de progrès mais aussi un consommateur de ressources. Dans les régions déjà fragiles hydriquement, son développement doit absolument s’accompagner de mesures pour éviter de creuser les inégalités d’accès à l’eau.

 

Des risques écologiques et économiques tangibles

L’empreinte hydrique galopante de l’intelligence artificielle entraîne des risques écologiques majeurs. D’abord, elle accentue le stress hydrique dans de nombreuses zones : chaque litre d’eau utilisé pour l’IA est un litre de moins pour l’agriculture, l’industrie ou l’usage domestique. 

Dans certaines villes, on l’a vu, les data centers consomment jusqu’à 25 % de l’eau disponible (Comment l’intelligence artifcielle et ses data centers s’accaparent l’eau – Basta! ). 

Pomper des aquifères pour refroidir des serveurs peut abaisser le niveau des nappes phréatiques. 

À grande échelle, cela pourrait contribuer à l’assèchement de puits ou de sources locales. Ensuite, se pose le problème de la pollution thermique. Lorsque les centres de données rejettent de l’eau de refroidissement échauffée dans des rivières ou lacs, ils peuvent perturber les écosystèmes aquatiques. Une élévation de seulement quelques degrés de la température d’une rivière suffit à diminuer l’oxygène dissous et à affecter la faune. 

Des réglementations existent (par exemple, limiter à +2°C la différence de température de l’eau rejetée), mais les contrôles sont rares. Beaucoup d’opérateurs préfèrent éviter le rejet direct en circuit ouvert – qui expose à ces contraintes – et optent pour des tours de refroidissement en circuit fermé. 

Cependant, cette solution transforme le problème : plutôt que de relâcher de l’eau chaude, on évapore l’eau, éliminant le risque de pollution thermique mais consommant définitivement l’eau évaporée dans l’atmosphère (What do people mean when a data center consumes water? It’s not like the water is destroyed, it just gets warmer but isn’t it still potable after? Even if it was steam that means more rain : r/environment). 

Le choix actuel tend donc vers la consommation (évaporation) plutôt que la restitution d’une eau trop chaude. Mais cela signifie qu’une portion croissante de l’eau douce prélevée n’est jamais rendue aux bassins versants.

Les risques économiques sont tout aussi réels. D’une part, l’adaptation des infrastructures hydrauliques a un coût : adduction d’eau supplémentaire pour alimenter un nouveau data center, traitement des eaux usées chargées en minéraux issues des circuits de refroidissement, etc. 

Qui paiera ? Souvent, les collectivités subventionnent l’arrivée des géants du numérique en prenant à leur charge une partie des investissements (canalisations, stations de pompage). 

Cela peut se traduire par une augmentation des tarifs de l’eau pour les contribuables si le contrat est mal équilibré. D’autre part, la concurrence avec les autres usages peut pénaliser des secteurs entiers. En zone agricole, si les pompages pour l’IA épuisent ou polluent la ressource, les récoltes peuvent en souffrir, menaçant la sécurité alimentaire ou les revenus des agriculteurs. 

Au Maroc par exemple, l’implantation de fermes de serveurs est débattue car l’agriculture irriguée y est vitale et déjà limitée par la sécheresse. 

Enfin, il y a un risque pour le développement même de l’IA : si la ressource se raréfie, les data centers pourraient faire face à des restrictions d’eau, limitant leur capacité à opérer en continu. 

Des conflits d’usage intenses pourraient aussi ternir l’image des entreprises technologiques, confrontées à des mouvements de protestation (comme c’est arrivé pour Google aux Pays-Bas ou Microsoft en Iowa). 

En résumé, sans une gestion proactive, la consommation d’eau de l’IA peut créer des tensions locales, des coûts cachés pour les communautés et menacer la soutenabilité de la révolution numérique.

 

Quelles solutions pour une IA plus durable en eau ?

Face à ces défis, des solutions existent et commencent à être mises en œuvre par les industriels, les ingénieurs et les pouvoirs publics. En voici les principales pistes :

  • Innovations technologiques de refroidissement : Les géants du cloud investissent dans des alternatives aux systèmes actuels. Le refroidissement liquide (circulation de liquides caloporteurs directement au contact des composants) permet de dissiper la chaleur plus efficacement que l’air, tout en réduisant la consommation d’eau jusqu’à 90 % par rapport aux tours aéroréfrigérantes classiques (Data center sustainability | Deloitte insights). Des start-ups comme Iceotope au Royaume-Uni ont développé des solutions de precision immersion cooling où les serveurs sont plongés dans un bain de liquide non conducteur, évitant tout recours à l’eau et aux climatiseurs énergivores (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet) (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Bien que prometteuses, ces techniques doivent encore gagner la confiance des opérateurs – la plupart restent prudents et n’ont pas déployé ces systèmes à grande échelle en 2025 (Too Hot to Compute: The Water Crisis Behind Southeast Asia’s Data Centre Boom | FairPlanet). Parallèlement, d’autres explorent la réutilisation de la chaleur fatale : par exemple, certains data centers en Europe du Nord transfèrent la chaleur excédentaire vers des réseaux de chauffage urbain, ce qui incite à un refroidissement plus modéré et valorise l’eau chaude plutôt que de la gaspiller.

  • Optimisation et efficacité : La première des solutions est de réduire la quantité de chaleur à évacuer, donc la consommation énergétique de l’IA. Cela passe par des algorithmes plus efficaces (entraîner avec moins de données, optimiser le code des modèles), une meilleure gestion des charges de travail (éviter de faire tourner inutilement des serveurs à vide). Google indique ainsi que l’IA représentait 10 à 15 % de sa consommation d’énergie en 2019-2021 et que cette part croît au même rythme que le reste (20-25 % par an) (Data centres & networks – IEA) (Data centres & networks – IEA) – signe que des gains d’efficacité ont compensé en partie l’augmentation de l’usage. Plus largement, l’ordonnancement intelligent des tâches IA peut limiter l’empreinte hydrique : le chercheur Shaolei Ren propose de planifier les entraînements de modèles dans les régions et aux saisons les plus propices (climat frais, énergie bas carbone disponible) (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). En d’autres termes, pourquoi lancer un calcul intensif en plein après-midi d’été en Arizona, alors qu’il pourrait être effectué la nuit en Iowa avec de l’air frais disponible ? Cette flexibilité spatiale et temporelle de l’IA est un atout à exploiter pour économiser l’eau.

  • Recours à l’eau non potable ou recyclée : Plutôt que de consommer de l’eau potable, de plus en plus de centres de données utilisent des sources d’eau alternatives. Amazon Web Services (AWS) refroidit ainsi 16 de ses data centers en Virginie avec de l’eau usée recyclée à 99 % (eaux d’égout traitées) (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD) (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD). Après usage, cette eau retourne en station d’épuration pour être réutilisée en boucle (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD). AWS, Google, Microsoft et Meta se sont tous engagés à être “water positive” d’ici 2030 (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD) : cela implique notamment de restituer à la nature 100 % (ou plus) de l’eau consommée, via des projets de restauration de zones humides, de recyclage et d’amélioration des réseaux. Google annonce déjà qu’un quart de ses centres fonctionnent avec de l’eau non potable (eaux grises, eau de pluie) (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD). Microsoft utilise des eaux recyclées à San José (Californie), Quincy (Washington), dans certains sites au Texas et à Singapour (AWS using reclaimed wastewater for data center cooling at 20 locations – DCD). À Marseille, nous l’avons vu, c’est de l’eau d’ancienne mine qui refroidit les serveurs (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO). Ce basculement vers des sources non conventionnelles est crucial : il permet de soulager l’eau potable pour les usages essentiels. Il faudra veiller toutefois à la qualité des rejets : l’eau en circuit de refroidissement peut se charger en chlorure, en sels minéraux (provenant des additifs anticorrosion) (Engineers often need a lot of water to keep data centers cool | ASCE ) et nécessite un traitement approprié avant d’être réintroduite (même dans le cycle des eaux usées).

  • Régulation et transparence accrues : Les institutions commencent à se saisir du problème pour encadrer l’empreinte hydrique du numérique. L’OCDE plaide pour plus de transparence : dans un article intitulé « The public deserves to know », elle souligne que selon les sites, l’IA consomme entre 1,8 et 12 litres d’eau par kWh dépensé et appelle à la publication systématique de ces données (AI Energy and Water Consumption – Conscious Tech – Sera Tajima). L’AIE recommande, elle, l’adoption de technologies minimisant l’usage d’eau dans les zones sèches (Data centres & networks – IEA). Concrètement, certaines juridictions imposent déjà des conditions : aux Pays-Bas, un projet de loi prévoit d’obliger les centres à déclarer leurs consommations d’eau et à utiliser de l’eau non potable si possible. Aux États-Unis, des comtés de l’Oregon et de l’Arizona examinent l’opportunité de moratoires locaux ou de tarifs spécifiques pour l’eau industrielle, afin d’éviter que l’IA ne « siphonne » les réserves municipales à bas prix. Un autre levier est la norme environnementale : le fameux indicateur PUE (Power Usage Effectiveness) qui a poussé les centres à améliorer leur efficacité énergétique pourrait être complété d’un indicateur WUE (Water Usage Effectiveness). Des chercheurs ont déjà proposé un WUE global incluant l’eau indirecte (centrales électriques) pour mieux évaluer l’empreinte réelle de chaque requête IA (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News). Une telle métrique, si elle était adoptée par le secteur, permettrait de comparer et de mettre en compétition positive les acteurs sur l’aspect hydrique, comme cela s’est fait pour le carbone.

  • Géolocalisation et aménagement du territoire : Enfin, repenser la localisation des infrastructures est un moyen puissant de réduire l’impact. Plutôt que de concentrer les nouveaux centres de calcul dans quelques hubs attractifs fiscalement mais pauvres en eau, il est possible de privilégier des sites bénéficiant d’un climat frais et humide ou d’un accès aisé à l’eau non potable (bord de mer, ex-mines, eaux industrielles). Par exemple, la Norvège et l’Islande ont activement promu leur climat froid et leur énergie renouvelable abondante pour attirer des data centers « verts ». De même, construire des centres sous-marins – comme l’a testé Microsoft avec son projet Natick immergeant un data center au large de l’Écosse – élimine quasiment les besoins en eau douce et utilise l’eau de mer comme dissipateur thermique naturel. Si ces solutions paraissent futuristes, l’urgence climatique et hydrique pourrait accélérer leur adoption. En parallèle, les villes peuvent intégrer les centres de données dans une vision d’économie circulaire : récupération de chaleur (pour des serres ou des habitations), utilisation des eaux pluviales, etc., pour maximiser le bénéfice local et minimiser les pertes nettes en eau.

 

Vers une IA consciente de son empreinte hydrique

L’intelligence artificielle, souvent qualifiée de révolution industrielle du XXI^e siècle, ne pourra être véritablement « disruptive » que si elle intègre les limites planétaires. 

Son empreinte hydrique, longtemps ignorée, devient un critère central de soutenabilité. La bonne nouvelle est que ce sujet émerge enfin dans le débat public et parmi les décideurs. 

Des comparaisons imagées – « la consommation annuelle de l’IA en 2027 équivaudrait à six Danemark » (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO) – frappent les esprits et poussent à l’action. De plus en plus de chercheurs, d’institutions et d’industriels plaident pour une IA “sobre en eau”, grâce à l’innovation technologique et à la régulation.

L’IA a permis des avancées prodigieuses, de la traduction instantanée à la conception de nouveaux médicaments. Il serait paradoxal que ces progrès se paient au prix d’un stress hydrique aggravé ou de conflits pour l’eau. 

À l’inverse, en faisant preuve de transparence et d’ingéniosité, le secteur de l’IA peut devenir un levier d’amélioration : optimisation des réseaux d’eau par l’IA, réduction du gaspillage, et exemple d’une gestion durable des ressources. L’équation eau-IA n’en est qu’à ses débuts, mais elle devra être résolue pour que l’intelligence artificielle puisse déployer tout son potentiel sans assécher notre planète. 

En d’autres termes, l’IA devra apprendre à étancher sa soif – et cette prise de conscience est en cours, pour que les data centers du futur riment avec sustainability plutôt qu’avec pénurie.

Sources : Agence internationale de l’énergie, OCDE, publications scientifiques (Univ. Cornell, UC Riverside), rapports de durabilité des entreprises (Microsoft, Google), articles de presse (AP News, The Washington Post, The Atlantic, Le Monde, TF1 Info, Basta!), données publiques… Toutes les données chiffrées citées proviennent de ces sources officielles et études, comme référencé en notes. Les acteurs du secteur comme les pouvoirs publics disposent désormais de ces informations pour agir en connaissance de cause – car l’eau, « source de vie », ne doit pas devenir la victime collatérale silencieuse de l’essor de l’intelligence artificielle. (Artificial intelligence technology behind ChatGPT was built in Iowa — with a lot of water | AP News) (IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau »… D’où vient cette comparaison ? | TF1 INFO)

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